samedi 12 septembre 2009

EL PUEBLITO TAMARINDO


J+13 les amis. Je ne sais pas bien pourquoi je compte les jours, probablement parce que pour l’instant je ressens encore un peu le temps qui passe depuis mon arrivée. Chaque jour, il m’arrive quelque chose d’inédit : je fais, mange, essaie, vis quelque chose que je ne connaissais pas auparavant. De la simple dégustation de platanes frits au karaoké dans un bar de Las Peñas (le « Montmartre » de Guayaquil), chaque jour est une sorte de mini-aventure ici. J’arrêterai probablement de compter quant tout ceci deviendra un peu plus routine.

Les premiers jours, je suis ultra sensible au changement. Je n’aime pas trop cette ville, je ne vois pas pourquoi on l’appelle La Perle du Pacifique. J’ai même les larmes aux yeux en rentrant dans le Consulat de France, c’est vous dire. Mais la Señora Marlene tente de me rassurer en me disant que tous les volontaires étrangers qui sont venus faire un stage dans son ONG arrivent triste et déçus, et repartent en pleurant. Je n’étais pas convaincue.

Ce qui me désespérait plus que tout les premiers jours à Guayaquil, c’est qu’il y a peu d’espaces où l’on peut prendre son temps. Des endroits où l’on peut simplement contempler, se relaxer, se poser, des endroits où le temps s’arrête comme les terrasses de café ou les quais de Seine à Paris. Tout est rapide. Même pour monter dans un bus, il faut souvent le faire en même temps que le bus avance. La ville se meut au rythme des “Vaya!” des chauffeurs de bus et des piétons qui traversent la rue en courant pour ne pas se faire écraser. Vous imaginez donc l’immensité de mon bonheur lorsque je suis sortie de la ville pour la première fois pour aller en el campo – la campagne.

L’ONG dans laquelle je fais mon stage – la Fundación Corazones Unidos – base ses activités dans un village minuscule qui s’appelle Tamarindo, à environ une heure en bus de Guayaquil. La première fois que je m’y rends, j’ai l’impression d’aller au trou du cul du monde – comme si c’était encore possible… Le bus fonce à tout allure vers le nord et dépasse les bidonvilles périphériques de Guayaquil, chacun plus pauvre et délabré que le précédent. Nous gagnons les villages des alentours pour finalement nous enfoncer dans une campagne verte, agricole, presque vierge. Les cultures de riz côtoient les platanes et les manguiers, et de temps en temps nous passons à côté d’une baraque rudimentaire. Et alors que je pensais qu’il était impossible d’atteindre un isolement plus grand de la civilisation, j’apprends qu’il faut traverser el río Daule – le fleuve de la région – en canoë, pour atteindre Tamarindo.

Je dois m’arrêter ici pour faire une parenthèse sur les moyens de transport en Equateur. En moins de deux semaines, j’ai l’impression d’avoir emprunté tous les véhicules imaginables pour me déplacer: du bus minuscule et inconfortable de Guayaquil au canoë pour traverser le fleuve, en passant par l’arrière d’une camionnette arrêtée en stop au bord d’une route de campagne et une moto où nous étions quatre dessus, je m’aperçois qu’en Equateur, tous les moyens sont bons pour se rendre d’un point à l’autre. Sachant que les Equatoriens sont des conducteurs locos et que leurs véhicules datent souvent des années soixante, ce n’est pas toujours chose rassurante. Pourtant à chaque fois c’est un vrai moment de plaisir.

Arrivée à Tamarindo: les rues sont des sentiers de terre battue et de sable, les animaux de ferme rodent dans le village le plus naturellement du monde, et quant à Internet, c’est un mot étranger. Dans la maison où je loge, l’eau courante ne fonctionne pas, si bien qu’il faut utiliser une bassine d’eau (froide, mais bon il me semble inutile de le préciser, ça c’est juste le quotidien…) pour se laver ou tirer la chasse des toilettes. Quant aux murs de la maison, ils ne sont pas finis jusqu’en haut, ce qui fait qu’on entend tout ce qu’il se passe d’une pièce à l’autre, y compris dans la salle de bain. Les moustiques, la chaleur, la poussière, je suis un peu rebutée à mon arrivée. C’est ça le soit disant pueblito encantador dont tout le monde me parle ?

Mais comme toujours ici, il faut rarement se fier à la première impression et se laisser enchanter par l’esprit du lieu, ses habitants fantastiques et les airs de salsa, de cumbia et de reggaeton que l’on entend toute la journée en fond sonore. Et puis, plus sérieusement, il y a le travail que je suis venue faire ici. A Tamarindo, on me présente le centre de santé que l’ONG a mis cinq ans à construire et qui va être inauguré dans deux semaines. C’est un chef d’œuvre monumental vu les faibles moyens de l’ONG. Je suis admirative devant la combativité et l’entrain de tous les volontaires de tous âges du village. Les réunions se déroulent sous un petit préau au centre du village et sont l’occasion de recevoir des informations et mises à jour de la part de la présidente ou de donner son opinion et débattre. Le mot d’ordre de tous ces volontaires et de rester « unidos ». Ils considèrent que la clé de leur réussite est l’esprit d’équipe.

Cependant il y a beaucoup de failles dans leur organisation, qui affecte de ce fait la crédibilité professionnelle de Corazones Unidos et l'avancee de leurs projets. Premièrement, le manque de modernité des structures : absence de bureau administratif véritable, pas de courrier électronique professionnel, moyens de transports limités et surtout expérience du monde du travail quasi-nulle pour la plupart de ces femmes volontaires qui ont été toute leur vie ama de casa (femme au foyer). Il faut dire que la société équatorienne, quoique évoluant progressivement sur ce sujet, condamne encore beaucoup l’indépendance des femmes. Celles-ci vivent chez leurs parents jusqu’à ce à ce qu’elles se marient. Le triste résultat en est parfois des femmes de 30 ans qui vivent encore avec leurs parents faute d’avoir trouvé un prétendant convenable, ou des femmes qui se marient à l’âge de 19-20 ans et passent à côté des opportunités d’études ou de carrière. Je reviendrai sur le sujet de la culture sociale en Equateur une autre fois.

Après les réunions au village, nous mangeons un repas typique équatorien, nous dansons et parlons pendant des heures. Les gens ici sont très curieux et vont poser beaucoup de questions sur ma situation familiale, ma vie amoureuse, pourquoi je suis toute flaquita (maigrelette) – car il faut dire qu’ici, vu les quantités avalées à chaque repas, même Maïté serait dans les normes de poids. Mais ces questions un peu envahissantes ne me dérangent pas, au contraire. Je sens que les gens ont envie de me connaître et toute personne que je rencontre va immédiatement me mettre à l’aise. Je n’ai pratiquement pas à faire d’efforts pour m’intégrer, les gens le font automatiquement.

En rentrant à Guayaquil hier soir à l’arrière d’une petite camionnette rouge avec Dionne, une ancienne volontaire anglaise de l’ONG venue en Equateur pour préparer l’inauguration du Centre, j’ai les cheveux et la poussière dans les yeux, j’ai froid et je suis inconfortablement assise sur une sorte de petite caisse. Mais je vois le soleil rouge se coucher sur la campagne, et c’est la première fois que je commence à sentir que je vais probablement quitter ce pays en pleurant d’ici dix mois.

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