mercredi 16 décembre 2009

Photos de ma famille guayaca

La Señora Marlene


Marina, la fille de la señora marlene, y Marji, sa belle fille

Marina

Henry, son fils, et ses deux petites filles - Milena et Malena

Les trois stagiaires, Papi Chuna (l'epoux) et d'autres membres de la famille

Les niños de la famille - neveux, cousins, petits enfants, il y a un peu de tout

DIOS, FAMILIA, PATRIA

Je me souviens, quand je discutais un jour à Paris avec des latino-américains, ils m’avaient prévenu que les pays d’Amérique du Sud avaient les mœurs et coutumes beaucoup plus conservatrices que les pays européens, ce qui m’avait un peu surpris. Dans ma tête, l’Amérique Latine était le continent des danses torrides, des latin lovers, des femmes provocatrices et de l’art de vivre au jour le jour. Tout ceci s’est effectivement avéré vrai : je n’ai jamais autant dansé ou été « courtisée » aussi ouvertement ou vu de décolletés aussi plongeants qu’ici. Ceci n’empêche, les mœurs sociales en Amérique Latine sont encore très traditionalistes.

Et avant tout, sur le plan religieux. J’imagine que plus ou moins 98% de la population équatorienne est chrétienne. Depuis maintenant plus de trois mois que je suis ici, je n’ai rencontré que deux agnostiques, un juif et un qui se disait croyant en Hare Krishna. C’est très souvent que je vois des autocollants « Dieu est mon guide » dans des taxis ou dans des bus, ou que l’on sonne à ma porte avec des petits prospectus « Quién es Jesucristo ? ». Rien qu’aujourd’hui encore deux hommes ont sonné chez moi, m’ont donné un petit papier « Le message de Jesus » et m’ont demandé si j’allais recevoir Jésus Christ dans mon cœur pendant les fêtes de Noël. J’ai préféré jouer la carte désolée-je-ne-comprends-pas-l’espagnol cette fois-ci plutôt que de commencer un débat avec eux sur ma liberté de croire en qui j’voulais, quand j’voulais et ça te regarde pas d’abord.

Chez moi, la Señora Marlene est une fervente croyante en Dieu. Elle fait référence à « Señor Jesus » et me dit « Vaya con Dios » presque à chaque fois que je sors de la maison. Ceci ne fait pas pour autant d’elle une femme austère aux principes rigides. L’autre jour par exemple elle est rentrée d’une fête de famille bien pompette, donc bon…La plupart des gens sont ainsi. Mes ami(e)s les plus proches se tournent souvent vers des références religieuses, parlent des valeurs de bien et de générosité, de Dieu qui les protège eux et leur famille face à la violence et la délinquance ; et ce sont aussi des gens prêts à tout, qui se déchainent sur les pistes de danses, rient à en perdre le souffle et boivent comme des rugbymen.

J’étais bien confuse devant ces doubles personnalités au départ, j’allais jusqu’à penser que la société équatorienne était quand même bien hypocrite : le même mec qui porte une médaille Jésus autour du cou est un délinquant qui cache un couteau dans sa poche ; la même minette qui me dit qu’il faut faire confiance à Dieu est enceinte d’un mec qu’elle ne connait pas.

Les relations homme-femme sont assez délicates aussi. Il est socialement inacceptable qu’une fille ou femme non-mariée reste seule avec un homme dans sa maison… du coup, la ville s’est remplie de petits hôtels expressément conçus pour les relations sexuelles entre deux personnes non-mariées. Le sexe est partout, de la tenue ultra-moulante de la femme dans le bus aux danses très-hot de reggaeton, en passant par les blagues salaces de « doble sentido » (double sens) et la façon dont les hommes nous interpellent dans la rue. Mais alors, hors de question d’en parler. Les sujets sexuels sont très tabous, même entre amis. S’il s’agit d’en parler c’est sur un ton très pudique, à voix basse, et on ne s’y attarde pas trop hein. Moi qui ai l’habitude d’avoir des gros cochons de potes français qui n’ont que ce sujet de conversation à la bouche, je me suis tout d’un coup sentie très gênée lorsque j’ai essayé de l’aborder pour la première fois pendant un « Je n’ai jamais » où tout le monde m’a regardé à moitié choqué, à moitié amusé, comme si c’était la première fois que quelqu’un avait eu l’audace d’en parler aussi directement. Oups.

Il y a deux valeurs sociales essentielles pour n’importe quel équatorien : Dieu et la famille. On se croirait presque dans une publicité pétainiste. Vous l’avez compris, Dieu et le guide intérieur de chaque équatorien. Malgré mon scepticisme au départ, j’ai fini par comprendre le sens de la foi dans un pays comme l’Equateur. La pauvreté, la violence, l’insécurité, le travail, la santé ; il y a tellement de choses dans la société équatorienne qui sont hors de tout contrôle. La foi en fin de compte est facile, c’est une des seules choses à laquelle on peut se rattacher sans craindre de se la voir enlever et qui donne le sentiment de pouvoir remettre un peu l’avenir entre les mains de quelqu’un. Du moins c’est le cas d’une grande partie des gens que je côtoie. J’ai parlé d’une autre valeur, celle de la famille, qui est tout aussi omniprésente. Je vis moi-même dans une famille très unie. Je vis chez un couple, mais tous leurs enfants vivent dans les alentours, dans le même quartier. Il y a toujours du monde à la maison, de 6h30 du matin à 21h le soir. Evidemment je suis très reconnaissante qu’existe cette valeur de la famille soudée en Equateur car c’est entre autres grâce à ça que je ne me sens jamais seule et que je garde très facilement ma bonne humeur.

Toutefois, j’ai été réellement choquée au départ d’apprendre que quasi tout équatorien non-marié vit encore avec ses parents. Je m’amusais alors à repérer qui des personnes crédibles que je rencontrais vivaient encore chez leurs parents : le médecin de trente ans, la stricte professeure d’anglais, mon prof de salsa… tout de suite ça faisait moins glamour. De mon point de vue seulement, pour les équatoriens, il n’y a rien de plus normal. Je ne comprenais pas : n’ont-ils pas envie de vivre leur vie et être indépendants un peu ?

Je me suis donc tournée vers une opinion alternative. A nouveau, Jessica, dans son infinie sagesse, m’a illuminé: « Camille, rappelle toi que l’indépendance est un concept purement occidental ». Mais…euh…attend une minute…euh…HEIN ???

Il n’y a qu’aux Etats-Unis, en Allemagne, en France ou en Australie que l’indépendance des jeunes est une exigence sociale. Dans nos pays, à partir de 18 ans commence le décompte pour dégager de chez nos parents, et plus c’est tôt, plus on est admiré. Il vit seul, wowww c’est qu’il est débrouillard, c’est qu’il étudie et qu’il gagne sa vie en même temps, c’est qu’il est indépendant le petit. Ici, c’est tout le contraire. Celui qui part de chez ses parents sans être marié est quelqu’un qui abandonne sa famille, veut vivre sa vie sans elle, c’est un égoïste. D’une part, la famille c’est un peu comme la religion. Quoiqu’il arrive, on peut toujours compter sur elle. D’autre part, les enfants ont un devoir de soutenir leurs parents. Une fois qu’ils travaillent et qu’ils commencent à avoir des revenus, ce n’est pas pour partir et vivre égoistement de leur blé, c’est pour faire vivre toute la famille – parents, frères, sœurs, éventuellement les grands parents. La mentalité équatorienne est beaucoup plus tournée sur le partage et l’entre-aide que la française. On m’a expliqué que beaucoup d’équatoriens, et en particulier ceux qui vivent dans les campagnes, ont beaucoup d’enfants car chacun représente un revenu en plus pour la famille. Malheureusement, c’est aussi pour ça qu’on voit des enfants de 6-7 ans travailler dans la rue.

Je n’arrive donc pas à me décider sur tout ça, si ces valeurs sociales sont vraiment vertueuses ou sont tombées dans l’excès. Bon d’un autre côté, on ne me demande pas vraiment de former une opinion définitive sur tout. C’est une des bonnes choses d’un échange culturel. On n’arrive avec ses propres idées et valeurs, et on se les laisse assouplir par la nouvelle culture dans laquelle on baigne, on observe et on discute, et on revient avec la tête partagée entre deux façons de penser et de vivre. C’est l’objectif du moins, mais j’ai encore du chemin à parcourir pour sortir de ma petite mentalité française encore un petit peu trop butée parfois. Peut être que d’ici quelques mois, j’accepterai avec le sourire plutôt qu’avec un haussement de sourcil arrogamment français quand un équatorien me sert du vin goût pomme-vanille en me disant fièrement « comme dans ton pays, hein ! ».