mercredi 16 décembre 2009

Photos de ma famille guayaca

La Señora Marlene


Marina, la fille de la señora marlene, y Marji, sa belle fille

Marina

Henry, son fils, et ses deux petites filles - Milena et Malena

Les trois stagiaires, Papi Chuna (l'epoux) et d'autres membres de la famille

Les niños de la famille - neveux, cousins, petits enfants, il y a un peu de tout

DIOS, FAMILIA, PATRIA

Je me souviens, quand je discutais un jour à Paris avec des latino-américains, ils m’avaient prévenu que les pays d’Amérique du Sud avaient les mœurs et coutumes beaucoup plus conservatrices que les pays européens, ce qui m’avait un peu surpris. Dans ma tête, l’Amérique Latine était le continent des danses torrides, des latin lovers, des femmes provocatrices et de l’art de vivre au jour le jour. Tout ceci s’est effectivement avéré vrai : je n’ai jamais autant dansé ou été « courtisée » aussi ouvertement ou vu de décolletés aussi plongeants qu’ici. Ceci n’empêche, les mœurs sociales en Amérique Latine sont encore très traditionalistes.

Et avant tout, sur le plan religieux. J’imagine que plus ou moins 98% de la population équatorienne est chrétienne. Depuis maintenant plus de trois mois que je suis ici, je n’ai rencontré que deux agnostiques, un juif et un qui se disait croyant en Hare Krishna. C’est très souvent que je vois des autocollants « Dieu est mon guide » dans des taxis ou dans des bus, ou que l’on sonne à ma porte avec des petits prospectus « Quién es Jesucristo ? ». Rien qu’aujourd’hui encore deux hommes ont sonné chez moi, m’ont donné un petit papier « Le message de Jesus » et m’ont demandé si j’allais recevoir Jésus Christ dans mon cœur pendant les fêtes de Noël. J’ai préféré jouer la carte désolée-je-ne-comprends-pas-l’espagnol cette fois-ci plutôt que de commencer un débat avec eux sur ma liberté de croire en qui j’voulais, quand j’voulais et ça te regarde pas d’abord.

Chez moi, la Señora Marlene est une fervente croyante en Dieu. Elle fait référence à « Señor Jesus » et me dit « Vaya con Dios » presque à chaque fois que je sors de la maison. Ceci ne fait pas pour autant d’elle une femme austère aux principes rigides. L’autre jour par exemple elle est rentrée d’une fête de famille bien pompette, donc bon…La plupart des gens sont ainsi. Mes ami(e)s les plus proches se tournent souvent vers des références religieuses, parlent des valeurs de bien et de générosité, de Dieu qui les protège eux et leur famille face à la violence et la délinquance ; et ce sont aussi des gens prêts à tout, qui se déchainent sur les pistes de danses, rient à en perdre le souffle et boivent comme des rugbymen.

J’étais bien confuse devant ces doubles personnalités au départ, j’allais jusqu’à penser que la société équatorienne était quand même bien hypocrite : le même mec qui porte une médaille Jésus autour du cou est un délinquant qui cache un couteau dans sa poche ; la même minette qui me dit qu’il faut faire confiance à Dieu est enceinte d’un mec qu’elle ne connait pas.

Les relations homme-femme sont assez délicates aussi. Il est socialement inacceptable qu’une fille ou femme non-mariée reste seule avec un homme dans sa maison… du coup, la ville s’est remplie de petits hôtels expressément conçus pour les relations sexuelles entre deux personnes non-mariées. Le sexe est partout, de la tenue ultra-moulante de la femme dans le bus aux danses très-hot de reggaeton, en passant par les blagues salaces de « doble sentido » (double sens) et la façon dont les hommes nous interpellent dans la rue. Mais alors, hors de question d’en parler. Les sujets sexuels sont très tabous, même entre amis. S’il s’agit d’en parler c’est sur un ton très pudique, à voix basse, et on ne s’y attarde pas trop hein. Moi qui ai l’habitude d’avoir des gros cochons de potes français qui n’ont que ce sujet de conversation à la bouche, je me suis tout d’un coup sentie très gênée lorsque j’ai essayé de l’aborder pour la première fois pendant un « Je n’ai jamais » où tout le monde m’a regardé à moitié choqué, à moitié amusé, comme si c’était la première fois que quelqu’un avait eu l’audace d’en parler aussi directement. Oups.

Il y a deux valeurs sociales essentielles pour n’importe quel équatorien : Dieu et la famille. On se croirait presque dans une publicité pétainiste. Vous l’avez compris, Dieu et le guide intérieur de chaque équatorien. Malgré mon scepticisme au départ, j’ai fini par comprendre le sens de la foi dans un pays comme l’Equateur. La pauvreté, la violence, l’insécurité, le travail, la santé ; il y a tellement de choses dans la société équatorienne qui sont hors de tout contrôle. La foi en fin de compte est facile, c’est une des seules choses à laquelle on peut se rattacher sans craindre de se la voir enlever et qui donne le sentiment de pouvoir remettre un peu l’avenir entre les mains de quelqu’un. Du moins c’est le cas d’une grande partie des gens que je côtoie. J’ai parlé d’une autre valeur, celle de la famille, qui est tout aussi omniprésente. Je vis moi-même dans une famille très unie. Je vis chez un couple, mais tous leurs enfants vivent dans les alentours, dans le même quartier. Il y a toujours du monde à la maison, de 6h30 du matin à 21h le soir. Evidemment je suis très reconnaissante qu’existe cette valeur de la famille soudée en Equateur car c’est entre autres grâce à ça que je ne me sens jamais seule et que je garde très facilement ma bonne humeur.

Toutefois, j’ai été réellement choquée au départ d’apprendre que quasi tout équatorien non-marié vit encore avec ses parents. Je m’amusais alors à repérer qui des personnes crédibles que je rencontrais vivaient encore chez leurs parents : le médecin de trente ans, la stricte professeure d’anglais, mon prof de salsa… tout de suite ça faisait moins glamour. De mon point de vue seulement, pour les équatoriens, il n’y a rien de plus normal. Je ne comprenais pas : n’ont-ils pas envie de vivre leur vie et être indépendants un peu ?

Je me suis donc tournée vers une opinion alternative. A nouveau, Jessica, dans son infinie sagesse, m’a illuminé: « Camille, rappelle toi que l’indépendance est un concept purement occidental ». Mais…euh…attend une minute…euh…HEIN ???

Il n’y a qu’aux Etats-Unis, en Allemagne, en France ou en Australie que l’indépendance des jeunes est une exigence sociale. Dans nos pays, à partir de 18 ans commence le décompte pour dégager de chez nos parents, et plus c’est tôt, plus on est admiré. Il vit seul, wowww c’est qu’il est débrouillard, c’est qu’il étudie et qu’il gagne sa vie en même temps, c’est qu’il est indépendant le petit. Ici, c’est tout le contraire. Celui qui part de chez ses parents sans être marié est quelqu’un qui abandonne sa famille, veut vivre sa vie sans elle, c’est un égoïste. D’une part, la famille c’est un peu comme la religion. Quoiqu’il arrive, on peut toujours compter sur elle. D’autre part, les enfants ont un devoir de soutenir leurs parents. Une fois qu’ils travaillent et qu’ils commencent à avoir des revenus, ce n’est pas pour partir et vivre égoistement de leur blé, c’est pour faire vivre toute la famille – parents, frères, sœurs, éventuellement les grands parents. La mentalité équatorienne est beaucoup plus tournée sur le partage et l’entre-aide que la française. On m’a expliqué que beaucoup d’équatoriens, et en particulier ceux qui vivent dans les campagnes, ont beaucoup d’enfants car chacun représente un revenu en plus pour la famille. Malheureusement, c’est aussi pour ça qu’on voit des enfants de 6-7 ans travailler dans la rue.

Je n’arrive donc pas à me décider sur tout ça, si ces valeurs sociales sont vraiment vertueuses ou sont tombées dans l’excès. Bon d’un autre côté, on ne me demande pas vraiment de former une opinion définitive sur tout. C’est une des bonnes choses d’un échange culturel. On n’arrive avec ses propres idées et valeurs, et on se les laisse assouplir par la nouvelle culture dans laquelle on baigne, on observe et on discute, et on revient avec la tête partagée entre deux façons de penser et de vivre. C’est l’objectif du moins, mais j’ai encore du chemin à parcourir pour sortir de ma petite mentalité française encore un petit peu trop butée parfois. Peut être que d’ici quelques mois, j’accepterai avec le sourire plutôt qu’avec un haussement de sourcil arrogamment français quand un équatorien me sert du vin goût pomme-vanille en me disant fièrement « comme dans ton pays, hein ! ».

mardi 24 novembre 2009

De Francia? En SERIO? Wooooow...!

Une Française attire évidemment l’attention ici en Equateur. Encore plus une Française qui vient de Paris. Je représente le bon goût, la mode, le raffinement, le romantisme, la culture, l’art, l’histoire… dans les négatifs, le français représente aussi l’arrogance, le snobisme, le mauvais touriste et, ALLEZ SAVOIR POURQUOI, le manque d’hygiène. Tandis que Jessica me dit parfois qu’elle va prendre une « french shower » pour dire qu’elle va faire une toilette rapide, Dionne – mon amie anglaise – m’inspectait les aisselles pour savoir si je m’épilais. Mais en règle générale, ce sont mes compagnons anglo saxons qui soulignent les défauts du français. Les Equatoriens de leur côté ont, pour l’instant, démontré une certaine fascination. « Eres de FRANCIA ?? En serio ?? De PARIS ??? Wooow ». Et c’est parti pour une avalanche de questions, les plus fréquentes étant les suivantes :

* Si c’est vrai qu’on mange des escargots et des grenouilles en France

* Si mes vêtements viennent de Dior et Yves Saint Laurent

* Si c’est vrai que les hommes français sont romantiques

* Si j’ai déjà été à la Tour Eiffel

* Si c’est vrai que la Première Dame de France est mannequin

* Si c’est vrai que les Français boivent à partir de midi

* Si c’est vrai qu’on travaille seulement 35 heures par semaine en France

* Si je peux leur enseigner le French Kiss

A chaque fois c’est le même dilemme : dois-je leur avouer que la France est bien différente de tout ces clichés (désolée les filles, les français ne sont pas si romantiques que vous le croyez, et désolée les mecs, mais le French Kiss n’a rien de différent par rapport à une pelle ordinaire) ou continuer à jouer sur leur curiosité (Alala vous savez, j’habite à 15 minutes à pied de la Tour Eiffel, et en France il est coutume de boire un verre de vin et de manger du fromage avec chaque repas, et bien entendu je porte mon petit béret Sonia Rykiel tous les jours…).

Le fait d’être française ne m’aide pas seulement dans mes relations amicales, je me rends compte que cela me donne aussi beaucoup de facilités dans mes relations professionnelles, ce qui est plus surprenant. Je m’attendais à ce que les gens soient plus impatients avec moi parce que je ne parle pas couramment espagnol, mais c’est tout le contraire. On considère que si je suis venue depuis la France pour travailler un an dans une ONG équatorienne, cela vaut bien qu’ils m’écoutent. Comme je suis venue de mon pays pour aider le leur, cela vaut bien qu’ils m’aident en échange. Un jour, en rendez-vous avec le directeur des donations de la Junta de Beneficiencia de Guayaquil, celui-ci décroche le téléphone, appelle une de ses collègues qui n’est autre que la responsable des Relations Extérieures. Vient ici, lui dit-il, j’ai une charmante petite volontaire française dans mon bureau et je pense que tu devrais la rencontrer. Il s’est avérée que la dite collègue avait vécu trois ans à Paris, adore parler français, connait Sciences Po et l’AIESEC, et fait partie du Rotary Club – une organisation internationale de volontariat, assez bourgeoise mais bien utile. Eurêka. Je bénis mes racines. Nous papotons de tout et de rien, elle me raconte qu’elle est la responsable des donations de Noël du Rotary Club de Guayaquil et qu’elle serait ravie d’aider mon ONG, encore un peu de blablabla, Oooh et puis tu sais tu es tellement mignonne, je vais inscrire ton ONG sur la liste des fondations qui bénéficient de nos donations de chaises roulantes. A l’origine d’une aussi grande réussite, cette simple petite phrase au téléphone avec la secrétaire d’accueil : « Soy una voluntaria francesa de la Fundación Corazones Unidos ». Et je me suis ouverte je ne sais combien de portes.

Comme si ça ne suffisait pas. Pour couronner le tout, je commence à connaitre mes petites heures de gloire équatorienne. Après qu’un article de journal soit paru lundi dernier en parlant de la Fundación et de l’expérience de la petite volontaire française « Cemile Chan » (soupir…) qui partage ses impressions de l’Equateur avec nous, c’est au tour d’une amie de me demander de participer à un défilé de mode à Salinas, petite ville touristique au bord de la plage à deux heures de Guayaquil. Euh pourquoi pas, ai-je répondu sans grande conviction. Après tout c’est pour aider sa cousine qui lance sa propre ligne de vêtements, je ne me vois pas refuser. Et puis ça pourrait être marrant. Sauf que quand je vois sur les invitations qu’ils annoncent la participation de « Modelos Internacionales de Canadá, Francia y Estados Unidos », je ris jaune. J’appelle mon amie en panique : Euh Lorena, je crois qu’il y a eu une erreur de frappe, parce que tu sais, quand tu dis qu’il y a des Modelos Internacionales, les gens s’imaginent que Kate Moss et Laetitia Casta vont se pointer. Et elle de me répondre que ce n’est pas grave, puis elle enchaine en me prévenant que les gens vont probablement vouloir prendre des photos avec moi après le défilé, « c’est normal, en tant que mannequin française tu vas un peu être une star ce soir là ».

Arrive le fameux weekend du défilé. La veille, Lorena nous oblige à aller faire la promotion de l’évènement dans Salinas à 23h. Je voulais rester glander à la maison mais non, les « mannequins » étrangères doivent distribuer les flyers aussi. Et à chaque fois que je tends un flyer, on me demande si je suis la française, l’américaine ou la canadienne. La Francesa, je réponds. « En serio ?? Wooooow! ». Pour connaitre la suite de la conversation, se référer à la liste de questions publiée en début d’article.

Le soir de l’évènement, je commence à penser qu’il aurait été plus facile d’être une Sanchez, une Alvaro, une Lopez, tout sauf une française. Mais avant que je n’ai le temps de changer d’avis, arrive le moment ou je dois sortir sur le podium vêtue d’une minijupe de toutes les couleurs, talons aux pieds et fleur exotique dans les cheveux. J’essaie de ne pas penser à l’image de Carrie de Sex and the City qui s’explose parterre devant tout le monde lorsqu’elle participe à un défilé de mode, et je me lance. C’est assez sympa au final. Une pose par ci, une pose par là, le regard fixe, se retourner, marcher, s’arrêter. Ca dure vingt secondes à peine, mais je profite et je m’amuse bien. On enchaine avec une grande fiesta organisée dans la discothèque où s’est déroulé le défilé, qui dure jusqu’aux petites heures matinales. Je suis « la mannequin venue de France », ce qui me fait bien rire. Et de ce fait, les charmants jeunes hommes équatoriens aux bonnes manières et aux intentions les plus pures ne me lâchent pas. Il faut bien se rendre compte que les étrangers venant de pays occidentaux sont considérés comme plus « libéraux » et ouverts, sexuellement parlant. Mes chères amies voyageuses, s’il vous arrive donc de vous rendre dans un pays en développement aux mœurs conservatrices, il convient de garder en tête cette image « facile » qu’on prête aux étrangères occidentales car elle nous attire évidemment beaucoup d’attention de la part de ces messieurs.

Dans tout ça, je pense que vous avez compris que je me complais quand même pas mal dans ce rôle de la petite volontaire française qui vient de Paris, qui aime boire beaucoup de café noir sans sucre sans lait, qui demande un verre de vin à chaque fois qu’on va dans un bar alors que tout le monde demande une bière, qui préfère porter du bleu marine et du noir que des vêtements super flashy et moulants, ne sait pas bouger ses hanches comme les autres Latinas et fait bien attention à ce qu’elle mange. J’ai beau essayer de me fondre dans le moule équatorien sur certains points comme le fait d’arriver avec une heure de retard à tous les rendez-vous ou essayer de prendre l’accent équatorien, les autres points que je viens de citer restent inflexibles. C’est bien, ça me permet d’avoir une bonne dose quotidienne de rire avec tous ceux qui se marrent devant ces petites différences culturelles.

jeudi 12 novembre 2009

UNA GUAYAQUILEÑA EN CUENCA



Imaginez une Française vivant à Guayaquil, s’en allant passer quatre jours à Cuenca. Guayaquil, nœud économique et commercial de l’Equateur, sans charme ni lyrisme, où seul compte la valeur de l’argent et du négoce ; Cuenca, ville coloniale, fleurie, historique et inscrite depuis 1999 au patrimoine culturel de l’humanité. D’où moi, n’ayant vu l’ombre d’un édifice culturel depuis deux mois, hystériquement béate.

Les périodes de congés en Equateur donnent lieu à des flux de vacanciers quasiment pires qu’en France. Et pour ce pont spécifique (du 30 octobre au 3 novembre), la destination principale était Cuenca, qui célébrait l’anniversaire de son indépendance sur quatre jours. Toute la ville alors s’anime et s’illumine. Les artisans indiens et hippies affluent vers la ville et envahissent les rues de petits stands de bijoux, écharpes, sacs et bruleurs d’encens fabriqués artisanalement au fin fond des Andes. Les artistes, musiciens, peintres, comédiens se posent sur les places publiques, attirant les foules par des numéros de danse traditionnelle, des scènes burlesques et démonstrations talentueuses. A tous les coins de rue, on aperçoit les militaires des forces armées équatoriennes, venus pour participer au défilé du 03 novembre. Les foires, concerts publics, fêtes foraines et marchés se multiplient. La ville est en fête, et au milieu de tout ça débarquent comme d’habitude à l’improviste une française et une américaine, qui ont décidé quasiment la veille d’enfiler leur sac à dos pour voyager le temps de quelques jours.

Jessica et moi sommes désormais une bonne paire pour voyager. Après avoir endurci six heures tout à l’arrière d’un bus moisi (où on sent bien évidemment le mieux toutes les secousses et nid de poule des routes équatoriennes) la semaine dernière en revenant de Manta, nous nous sommes juré fidélité pour voyager. Y compris pour nous rendre au Pérou en janvier !

On se rend donc au terminal de bus à cinq heures du matin samedi – oui oui…ça s’appelle trois heures de sommeil, on ne fait pas les choses à moitié – pour éviter les queues. Six heures du matin, on est dans le bus. Sept heures, je ne peux pas dormir parce qu’un abruti dans le bus pense qu’on a tous envie d’écouter sa musique reggaeton. Huit heures, l’abruti dort, moi non parce que j’ai oublié de faire pipi avant de partir. Dix heures et demie, nous voilà enfin à Cuenca. On a en tête de se rendre pour la journée à Ingapirca, le site de ruines Inca le plus important d’Equateur. Il faut encore prendre deux bus pour y aller, soit encore trois heures de trajet. Je jubile… surtout quand on se rend compte que nos billets n’ont pas de places attitrées et qu’on doit donc faire le trajet debout parce que le bus est plein. Aaah les joies du voyage.

Nous voilà donc à Ingapirca, situé à 3 230m d’altitude, où il fait tellement froid qu’on sent nos sourcils se transformer en stalactites. Peu importe ! D’après mon guide, il s’agit d’un lieu magique, incontournable, où l’idéal est d’y passer la nuit pour profiter du coucher de soleil sur les ruines. Nous déposons donc nos affaires dans une petite auberge bien sommaire mais peu chère et nous préparons pour visiter le site, quand il se met à pleuvoir des cordes. Bien, on n’a pas fait tout ce trajet pour rien, on prend notre courage à deux mains et on commence la visite. Le complexe archéologique a été découvert par des savants français au 18ème siècle lors d’une mission géodésique en Equateur pour mesurer la forme exacte de la Terre. Hmmm intéressant, elle s’arrête quand cette foutue pluie ? Le site a été construit par la tribu Cañari avant qu’arrivèrent les Incas, d’où certaines originalités dans les constructions. Hmmm, effectivement c’est tout à fait étonnant,… et j’ai désormais les pieds trempés. Le temple du soleil est bâti sur une roche au bord du ravin, avec de splendides murs de pierres s’ajustant parfaitement les unes aux autres selon la technique inca. C’est bien prodigieux en effet, si seulement je ne ressemblais pas à un épouvantail détrempé qu’on a retrouvé au bord de la route. Après avoir amicalement salué les lamas du site, Jess et moi nous précipitons dans un café. Hors de question de rester ici, c’est à peine si l’hôtel a l’eau chaude et le soi-disant majestueux couché de soleil dont parle mon guide, et bien nous l’avons dans le baba. On retourne donc vers Cuenca, congelées, affamées, bien éprouvées.

Etant donné que tous les hôtels de Cuenca affichaient complets des semaines à l’avance pour les fêtes, une amie de Guayaquil qui a sa tante et cousins a Cuenca nous avait proposé qu’on soit hébergé chez sa famille. On appelle donc nos hôtes en espérant qu’ils puissent nous héberger une nuit de plus. Le cousin, qui a notre âge, nous reçoit très aimablement. Il nous propose même de nous accompagner dans la ville les jours suivants pour nous faire visiter et nous emmener dans les endroits les plus sympas pour bien profiter des fêtes. Nous sommes ravies, encore davantage lorsqu’on a pu avoir une douche bien chaude et trois couches de couvertures et de couettes moelleuses pour dormir.

Les trois jours suivants, nous les passons donc avec Migui, Cuencanais de 20 ans et étudiant en gastronomie, passionné de cinéma et véritable connaisseur de tous les recoins de Cuenca. Nous marchons durant des heures dans toute la ville, visitant cathédrale, églises, places, maisons coloniales, musées. Une exposition d’artistes contemporains sud américains est organisée au musée d’art contemporain, je me sens alors dans mon propre petit paradis, en face à face avec l’engagement politique latino américain que je rêve de voir depuis si longtemps. On enchaine les foires artisanales, les shows d’artistes et les stands de « Colada Morada », boisson chaude et épicée de fruits rouges traditionnellement faite le jour des morts (le 02 novembre). Migui connait non seulement tous les grands lieux culturels, c’est aussi un expert gastronomique. Où aller manger un sundae mokka-caramel avec coulis de chocolat chaud maison, où déguster des tapas mexicains, où trouver des pâtisseries traditionnelles cuencanaises, où se régaler devant une soupe crémeuse à la tomate, Migui nous emmène dans les meilleurs endroits au plus grand plaisir de nos papilles qui n’en peuvent plus des assiettes de riz-poulet.

Et la nuit, on va écouter des concerts et danser sur des rythmes latino américains joués en live dans des parcs et places publics de Cuenca. L’odeur de grillades, de barbe à papa, de pralines grillées et de cigarettes se mélangent à l’envoutement musical de la foule, qui comprend tout aussi bien des équatoriens que des étrangers. Cuenca est effectivement une ville internationalisée, aussi bien au niveau touristique qu’au niveau universitaire.

Le mardi, jour d’anniversaire de l’indépendance de Cuenca, avec deux jours et deux nuits de Fiestas Cuencanas dans les jambes, on assiste au défilé militaire où se précipitent à peu près les trois quarts de la ville. Malgré la chaleur et la foule, j’ai trouvé ça très agréable d’observer le patriotisme équatorien. Le défilé comprend des militaires de l’armée de terre et de l’armée navale, des étudiants des collèges et universités militaires de Cuenca, des soldats de l’Amazonie (el Oriente) vêtus de l’uniforme traditionnel indien ainsi que des danseurs folkloriques.

Et puis après le défilé, c’est les adieux à Migui et sa famille, la course dans le terminal de bus pour acheter des billets et le retour à Guayaquil, toujours un peu déchirant. A chaque fois on quitte l’endroit visité le cœur un peu serré pour retourner à notre quotidien. Mais je pense que mes jambes fatiguées ont bien apprécié de retrouver le calme et la tranquillité de la maison, de même que mon corps qui est maintenant 100% costeño et considère qu’il fait froid si la température descend en dessous de 25°C. Dommage, moi qui comptait me la péter avec mon bronzage équatorien en revenant en juin à Paris, je commence à me rendre compte que je vais probablement porter des pulls jusqu’en août…

jeudi 29 octobre 2009

Fundación de Asistencia Social "Corazones Unidos"


Les voyages, les fêtes, la bonne nourriture, la musique, le mode de vie, les sauts en élastique, la famille et les amis, je vous raconte des choses bien sympathiques. Euh, au fait Camille, t’es pas sensée être en stage ou te risquer dans des zones impaludées pour donner le sourire aux enfants indigènes ou quelque chose comme ça ? J’y viens ! Il est vrai que je commence à me sentir un peu gênée par la question récurrente et si délicatement posée : «mais, tu fous quoi au juste là bas?». Le temps est donc venu de vous parler un peu de mes activités. Si je n’en ai pas beaucoup parlé avant, c’est tout simplement parce qu’il n’y avait pas grand-chose à raconter…

Au commencement, disons qu’il y eut un gros point d’interrogation. Comme je vous l’avais raconté avec beaucoup de calme avant mon départ, mes connaissances de ce qui allait se passer pour moi en Equateur s’arrêtaient à mon arrivée à l’aéroport. Je n’avais jamais parlé avec l’ONG (l’AIESEC s’était occupé de tout) et ne connaissais pas dans les détails les activités de l’organisation. Risqué, me diriez-vous.

Je débarque donc et attends plusieurs jours que l’on veuille bien m’éclairer sur ce que je dois faire. Je suis impatiente de découvrir le siège, les personnes dévouées qui travaillent pour l’ONG et s’affairent toute la journée à droite à gauche pour monter des campagnes de dons ou financer de nouveaux projets. Mais c’est tout juste si le mot « stage » est prononcé la première semaine. Non, la Señora Marlene veut que je me repose et que je m’accoutume progressivement avant de commencer à travailler. Tout en douceur. Ok, soit. Une semaine passe, je finis par aborder le sujet. Quand vais-je pouvoir aller au siège de l’ONG ? je demande un soir lors d’un diner avec toute la famille. Quelques secondes de silence suivies d’une explosion de rire générale : Mais Camilita, tu y es ! Pardon ? La maison dans laquelle je vis est le soi-disant « siège » ? Mes rêves de travailler aux côtés de volontaires déterminés dans un bureau aux couleurs de l’ONG s’évanouissent.

Et puis vint LA réunion décisive où nous devions parler de mon rôle dans l’ONG durant les dix prochains mois, et durant laquelle je me suis rendue compte du BIG malentendu… Moi, étudiante de troisième année, sans aucune connaissance réelle du monde des ONG à part ce qu’on a pu m’enseigner en cours, espérant apprendre le plus possible du travail qu’on va me donner durant ce stage. Eux, petite ONG noyée dans la masse d’initiatives pour le développement équatorien, me percevant comme le messie arrivée d’un pays occidental qui va les sauver des flammes et leur montrer le chemin à suivre pour réussir. La réunion a donc donné quelque chose comme ça : moi et la présidente se regardant pendant dix minutes dans le blanc des yeux, chacune attendant que l’autre lui indique ce qu’elle doit faire. Nous nous sommes finalement mises d’accord sur ce que je dois faire durant 10 mois: je suis responsable de trouver des partenaires et parrains de long-terme pour l’ONG afin de lui assurer des rentrées d’argent et dons matériels permanents et établir parallèlement un plan d’autogestion financière. Voilà, autant tous nous pendre tout de suite. C’est à peine si je comprends ce que veut dire autogestion financière…

Certes, je suis donc en mode panique au départ (est-ce que je m’enfuis lâchement au Nicaragua en laissant un mot disant que j’ai la grippe aviaire?...), mais durant les semaines qui suivent, je commence à découvrir tranquillement comment fonctionne la Fundación de Asistencia Social « Corazones Unidos » (FASCU). C’est une entité minuscule sans salariés, seulement des volontaires, quasiment toutes des femmes, qui vivent à Tamarindo, le village principal dans lequel sont basées les activités. En Equateur, les ONG sont généralement de deux sortes : les ONG internationales (PLAN, Unicef, Croix Rouge,…) et les fondations montées par des épouses d’hommes riches (du gouvernement, banquiers, grands avocats…) qui ont beaucoup d’argent et cherchent à en faire quelque chose de caritatif. Corazones Unidos, la mienne, appartient à une troisième catégorie, celle des petites ONG locales créées par des citoyens qui ont une volonté authentique de faire quelque chose, mais qui n’ont aucun argent pour réaliser leurs activités et doivent en permanence lutter pour trouver des fonds. Alors qu’en France, ce type d’association est beaucoup plus fréquent, dans un pays en développement, les petites initiatives citoyennes sont encore rares, les personnes de classes moyennes et en dessous ayant comme premier souci de trouver de l’argent pour leur propre famille avant de le faire pour aider les autres. Pourtant, c’est bien ce que fait la Señora Marlene. Je suis sciée par sa volonté inébranlable de faire avancer son œuvre, malgré l’impossibilité de la tâche. Les coûts sont énormes par rapport aux ressources de l’ONG, ce qui d’une part, rend le future de notre petite Fundación très incertain, et d’autre part, met beaucoup de pression sur mes épaules pour trouver des fonds.


Corazones UnidosCœurs Unis ») est une ONG qui travaille avec des enfants, personnes âgées et personnes handicapées des communautés du Canton Santa Lucia, au nord de Guayaquil. Tamarindo, le village dont la Présidente est originaire, est le centre des activités de l’ONG. Au départ, lorsqu’a été créée la Fondation il y a plus de quinze ans, il s’agissait seulement de réaliser des distributions de vêtements, de jouets et de vivres aux personnes les plus démunies des communautés alentours. Depuis, l’ONG a accru ses activités pour améliorer les conditions socio-économiques et médicales des familles bénéficiaires. Les cinq dernières années, elle a travaillé sur le projet de construire un centre de santé offrant des consultations médicales et soins gratuits pour tous. Le centre vient d’être inauguré il y a un mois, les familles s’y précipitent. C’est une véritable réussite. Mais il est essentiellement financé par la Municipalité. Le reste des activités de l’ONG – en particulier les programmes de parrainage et d’aide alimentaire à des enfants malades et personnes handicapés – continuent sans appui public. C’est là, particulièrement, que nous avons besoin de fonds.

Les deux premiers mois, il s’agissait donc pour moi de comprendre tous les mécanismes, toutes les activités, tous les coûts et revenus. Etudier les projets, les budgets, les évènements, les photos, les agendas, les relations des années passées pour trouver les points forts et les points faibles, les acquis et les nécessités, les erreurs et les réussites. De longues heures à converser avec la présidente, à prendre des notes lors des réunions, à fouiller dans les archives et documents de l’ordinateur. De tout ce travail de recherche, j’en ai fait un dossier complet présentant l’ONG, son histoire, ses activités, son budget et ses nécessités. J’ai eu à travailler notre demande : comment trouver des parrains si nous n’allons pas vers eux avec une demande précise écrite ? Qu’ils nous aident à financer l’installation d’Internet, des chaises roulantes, l’aide alimentaire et médicale que nous apportons aux bénéficiaires, le coût d’entretien d’un volontaire étranger tous les ans, des jouets pour les enfants pour les fêtes de noël, des formations pour les volontaires et la présidente, un véhicule pour effectuer les déplacements entre les communautés du canton qui sont parfois très éloignées les unes des autres, l’équipement du service déontologique du centre. Des besoins, nous en avons beaucoup. Trop. Les entreprises ne peuvent pas les deviner. J’ai donc présenté chaque besoin expliqué, détaillé, décortiqué, et je dois aller vers les entreprises qui sont aptes de répondre à tel ou tel besoin, ou qui du moins seront plus sensibles à tel ou tel besoin. Il ne me reste plus qu’à trouver le courage de décrocher le téléphone et d’argumenter – en espagnol.


A ceux qui me demandent à quoi ressemble une journée typique de travail, je leur réponds que le concept de journée typique n’existe pas pour moi depuis que je suis ici, ni au travail, ni pour le reste. Même si je commence bien à avoir mes habitudes et repères, il n’y a pas une journée qui ressemble aux autres. Changement formidable par rapport à Paris, moi qui n’en pouvait plus des journées routinières qui tournaient en rond et se répétaient. Ici c’est radicalement différent. D’une part, je n’ai pas de bureau. Je travaille dans différents endroits : à la maison, au cybercafé, à Tamarindo, dans Guayaquil à chaque fois qu’il faut que je me déplace quelque part pour faire des petites tâches pour l’ONG ou chercher des contacts. Il y a des jours où je peux me lever à 9h du mat, prendre mon temps, aller vérifier la boite mail de l’ONG sur les coups de midi, écrire un ou deux documents dont a besoin la présidente, et terminer tranquillement autour de 16h. D’autres jours, comme hier, je vais courir dans tous les sens : me lever à 7h du matin, aller au centre-ville pour retirer les invitations que j’ai fait faire pour un évènement, puis me rendre à Tamarindo (2h de bus) pour une réunion et présenter aux volontaires le dossier que j’ai réalisé, puis revenir à Guayaquil (encore 2h de transport), me précipiter au cybercafé pour envoyer des e-mails de la part de la Présidente, puis discuter avec elle jusqu’à 22h en prenant des notes de toutes les informations que je dois chercher pour elle avant la fin de la semaine.

Le plus difficile est cependant d’avoir une vision à long terme avec cette ONG. Les tâches à faire, je les reçois généralement du jour au lendemain, voir du soir à 21h pour le lendemain matin. «Au fait Camille, demain matin il faut que vous alliez à la Junta de Beneficiencia pour leur faire une demande de chaises roulantes de notre part». Et moi de lui répondre avec toute le calme et la patience que j’apprends à avoir ici: mais Marlene, pour que je leur présente la demande, encore faut-il que nous fassions un dossier avec les informations des bénéficiaires qui ont besoin des chaises roulantes, leurs photos, leurs informations d’identité, une copie du registre officiel pour justifier de notre statut d’ONG… je lui fait la liste de tout ce dont j’ai besoin pour constituer le dossier. A oui, c’est vrai, me dit-elle. Et nous voilà cherchant à 21h tous les documents qu’il nous faut pour le dossier, et moi courant faire des photocopies avant que ne ferme la petite boutique d’en face, pour avoir un dossier prêt pour le lendemain matin. Imaginez maintenant ce scénario à peu près toutes les semaines, vous comprendrez pourquoi une de mes priorités actuellement, est d’établir un agenda sur plusieurs mois avec la présidente.

Rire machiavélique. Ça fait deux mois que je n’ai pas pu faire usage de ma maniaquerie organisatrice et j’ai bien envie de me défouler sur la Fundación...les pauvres, ils ne savent pas sur qui ils sont tombés…

mardi 13 octobre 2009

Toutes les photos du voyage en cliquant ici!!

VIAJE CHEVERISSIMO

Cheverre : mot utilisé en Equateur à peu près dans chaque phrase pour exprimer l’agréable, la satisfaction, le contentement. Peut se traduire par « cool », « génial », « incroyable », « super ».


Par exemple : el viaje fue cheverissimo = le voyage était vraiment génial

Enfin mon premier voyage en Equateur ! Un voyage qui m’a coupé le souffle. Littéralement, par moment, quand l’altitude grimpait un peu trop…Au programme, trois jours itinérants dans les Andes entre Riobamba, le volcan Chimborazo et pour finir le village Baños, situé à la frontière entre les Andes et l’Amazonie équatorienne et connu pour ses eaux thermales et ses cascades.

Départ jeudi soir avec neuf autres personnes, dont un Nigérien, une Canadienne, et sept Equatoriens de l’AIESEC. Direction : Riobamba, dans les Andes, où nous arrivons à six heures du matin le vendredi. Le choc climatique est énorme entre Guayaquil où il fait jusqu’à 38°c en pleine journée et cette bourgade de la sierra andine où on a le sang fouetté par un vent glacial. Passage obligé donc par les toilettes du Terminal de bus pour faire une toilette minimale après six heures de bus, ajouter quelques couches de vêtements et sortir son bonnet péruvien. A peine a-t-on le temps d’avaler un petit dej qu’on saute à l’arrière d’une camionnette qui va nous emmener au volcan Chimborazo. C’est une coutume de voyage qui me paraissait au début un peu bizarre, mais je me suis rapidement habituée à cette forme de stop en Equateur où tout le monde peut sauter à l’arrière des camions pour se rendre quelque part, moyennant une petite contrepartie (généralement, 1 à 2 dollars).

Nous voilà donc en route vers Chimborazo, volcan endormi depuis 10 000 ans et sommet le plus éloigné du centre de la terre. Et ouais les cocos, voici la minute « culture géographique » de cet article : si Everest reste le sommet le plus haut, Chimborazo est cependant celui le plus près du soleil, car la Terre est renflée à l’équateur et aplatie aux pôles. Il est donc bon réflexe de ne pas oublier sa crème solaire quand on s’y rend …

La route se tortille entre les cols, le soleil tape, le vent se fait de plus en plus frisquet : on sent littéralement le climat changer au fur et à mesure qu’on gagne en altitude. Et celle-ci n’est pas négligeable : nous sommes à 4 800 mètres, ce qui rend la respiration saccadée et de fait, l’effort beaucoup plus difficile. Dans le groupe, certains sont malades (mal de tête, vomissements) à cause de l’altitude. L’excursion (depuis le premier refuge jusqu’au deuxième) dure environ une heure et demi pour faire à peine un kilomètre (avec 400m de dénivelé). Evidemment, nous ne pouvons pas faire l’ascension complète du volcan, à moins d’être munis d’équipements spécialisés et d’un physique d’acier. Les pauses sont nombreuses ; au fur et à mesure qu’on avance, chaque pas devient un supplice, et une distance de vingt mètres semble en faire cinq cent. Pourtant, quand on arrive au deuxième refuge, la fierté est immense. Et en récompense, une vue absolument imprenable de la chaîne andine qui s’étend sur des dizaines de kilomètres et se fond avec les nuages.

L’excursion sur les flancs du Chimborazo achevée, nous repartons vers Riobamba pour manger et sauter dans le dernier bus pour Baños qui part à cinq heures de l’après midi. J’ai les jambes en compote : entre les six heures de voyage en bus jusqu’à Riobamba, les quatre heures d’aller-retour compressée à l’arrière de la camionnette et le calvaire de Chimborazo, je n’arrive pas à imaginer comment je vais pouvoir sortir faire la fête dans Baños le soir même. Mais la douleur disparait au moment même où on entre dans cet agréable hameau qui se trouve au pied des montagnes. Baños (« bains ») est situé au creux d’un décor de monts verdoyants incroyable, et est surtout fréquenté par des voyageurs amateurs de sports extrêmes.

On y pratique la randonnée à pied ou à vélo, le rafting, le canyoning, le parapente… En arrivant le soir, il fait déjà nuit et les rues s’animent : les fabricants artisanaux nous offrent des poignées de macucha (bonbon artisanal fait à partir de fruit et de sucre de canne), les conducteurs des « chiva » nous interpellent pour nous proposer une excursion de nuit en bus au sommet des monts et les rues fourmillent de bars, café-restaurants et discothèques aux décors hippies qui font exploser la musique. Nous passons la soirée au « Leprechaun », un des bars les plus connus de Baños car on y brûle un grand feu tous les soirs dans le jardin à l’arrière. C’est la première fois que je remarque autant d’étrangers en Equateur. Il faut dire que Guayaquil n’attire pas particulièrement les touristes. Baños, par contre, grouille de voyageurs venus des quatre coins du monde. Et entre étrangers, nous avons des radars pour nous repérer très facilement. Je passe ainsi une bonne partie de la soirée à rencontrer des américains, des irlandais, des autrichiens et même des français, qui me racontent tous dans cette ambiance enivrante leur parcours fascinants en Amérique Latine. J’aurais bien passé toute la nuit à siroter des Banana Daiquiris et refaire le monde avec ces baroudeurs autour du feu, mais la journée du lendemain s’annonce chargée. Sur les coups de trois heures du mat, nous décidons donc de rentrer à notre petite chambre d’hôtel de six places, où nous dormons tant bien que mal à dix.

Le lendemain, jus de papaye, café et œufs brouillés dans le ventre, nous louons des vélos ($5 pour la journée par personne) pour faire le parcours qui mène jusqu’au Pailon del Diablo, la cascade de loin la plus impressionnante de Baños. Je me sens telle Pocahontas dans ce décor naturel de forêts vierges, de papillons et de cascades vertigineuses, je suis prise d’envie de courir dans les plaines avec Miko, nager dans les eaux immaculées avec les poissons et communiquer avec mère nature. Nous parcourons 22km à vélo, mais je ne sens même pas l’effort tellement les paysages sont splendides et la nature dans son état le plus pur. A nouveau, je sens le climat changer et devenir de plus en plus humide tandis qu’on gagne les environs de l’Amazonie.

Mais avant de vous parler de mon expérience forestière au cœur du poumon du monde, il faut absolument que je vous raconte El gran salto. LE GRAND SAUT. Oui oui, Papa et Maman, ne faites pas de crise cardiaque por favor, j’ai sauté en élastique. LE truc suicidaire que je ne pensais jamais faire de toute ma vie. Et pourtant, nous voilà arrivant sur nos vélos au niveau du pont où se ruent tous les jours des centaines de voyageurs pour tenter l’expérience du vide. Nous nous arrêtons, regardons admiratifs, crions de frayeur devant les sauts chacun plus impressionnant que les autres, jusqu’à ce qu’un abruti crie « Interns ! Salten ! » (Stagiaires ! Sautez !). Michelle (la canadienne) et moi nous regardons, bredouillons quelques excuses pathétiques pour ne pas le faire, moi enfonçant le nez dans mon chèche et prétextant que je n’ai pas assez d’argent pour le faire. Mentira ! Et tous en cœur, Camila ! Michelle ! Camila ! Michelle ! La vérité, j’ai vraiment envie de le faire, mais je sens que je vais mourir de peur avant même que le mec puisse finir de mettre le harnais. Trop tard, me voilà spontanément sortir les $7 et me la jouant sartrienne avec des phrases comme « on ne vit qu’une seule fois ». Ouups, tout d’un coup c’est moins philosophique quand il y a 150m de vide et de cascades sous moi. Heureusement, je n’ai jamais vraiment aimé la procrastination. Je ne réfléchis pas et je saute. C’est le bonheur total. Une sensation jamais connue que de se laisser tomber ainsi dans l’air libre. Je m’égosille, je lâche les bras, je laisse tomber tout mon corps dans le harnais, je ris euphoriquement tellement je suis shootée à l’adrénaline. Et je passe le reste de la journée avec un sourire béat et l’impression de pouvoir tout faire.


Après m’être remise de mes émotions et sautillée de jubilation dans les bras de Michelle qui s’est elle aussi jetée du pont, je resaute sur mon vélo pour continuer la route vers l’Amazonie avec les neuf autres compañeros. Là encore, alors que je pensais être arrivée au bout de mes surprises pour la journée, je suis assommée devant la majesté des paysages. Des étendues de forêt vierge, des cascades de centaines de mètres qui se jettent de toute force dans les rivières et l’air perlé de gouttes d’eau et d’humidité. Je sais qu’on arrive au Pailon del Diablo en voyant des pancartes qui disent « Dios existe ! ». Et là, je me retrouve littéralement à vingt mètres d’une cascade magistrale et dévastatrice, tellement puissante que j’aurais probablement senti que j’avais les larmes aux yeux si je n’avais pas été complètement trempée.

Nous regagnons Baños aux moyens de – what else ? – l’arrière d’un camion dans lequel nous empilons les vélos. Pas le temps d’y pédaler, le match Ecuador-Uruguay commence dans une demi-heure, et il n’est pas question de le rater. Ce n’est autre que le match le plus déterminant pour l’Equateur qui veut pouvoir être admis dans les équipes participantes de la Coupe du Monde 2010. Les rues abondent d’Equatoriens arborant patriotiquement le maillot jaune et bleu de l’équipe nationale, des pintes de bières dans les mains. Nous nous posons dans un restaurant pour manger et regarder le match, entouré de frénétiques qui crient des infamies devant l’écran TV. Moi je ne m’y connais pas et j’ai le ventre qui crie famine, je plonge donc le nez dans mes papas fritas et crie de temps en temps un « Chuta ! » solidaire quand on rate un but. Nous perdons. Quelle douleur pour un pays où le fait de ne pas s’intéresser au foot est pratiquement considéré un délit.

Mais rien ne peut arrêter l’esprit fêtard de Baños : malgré la déception, nous dégustons avec agrément les breuvages locaux – autrement dit, nous enchainons les Canelazos (cocktail de Rhum, cannelle et fruit de la passion) et dansons comme seuls savent le faire les Equatoriens. Je m’effondre dans les heures matinales sur mon lit (ou également, sur Michelle, nous partageons un lit une place). Mes jambes ne sont plus que confiture, je suis brisée de courbatures, mais je n’ai pas envie de rentrer à Guayaquil. J’ai envie de suivre les voyageurs qui m’ont proposé de venir avec eux en Colombie et au Venezuela, j’ai envie de continuer à m’étourdir devant l’inconnu, prolonger cette palpitation du voyage. Choisir entre le petit diable de mon épaule gauche qui me dit de ne pas mettre un terme à mon ivresse et le petit ange de mon épaule droite qui me dit de prendre le bus pour Guayaquil, quel dilemme. Je suis rentrée raisonnablement chez moi, après tout j’ai des engagements, mais Sartre n’a pas pour autant perdu. Je repars en voyage avant la fin du mois.