mardi 13 octobre 2009

VIAJE CHEVERISSIMO

Cheverre : mot utilisé en Equateur à peu près dans chaque phrase pour exprimer l’agréable, la satisfaction, le contentement. Peut se traduire par « cool », « génial », « incroyable », « super ».


Par exemple : el viaje fue cheverissimo = le voyage était vraiment génial

Enfin mon premier voyage en Equateur ! Un voyage qui m’a coupé le souffle. Littéralement, par moment, quand l’altitude grimpait un peu trop…Au programme, trois jours itinérants dans les Andes entre Riobamba, le volcan Chimborazo et pour finir le village Baños, situé à la frontière entre les Andes et l’Amazonie équatorienne et connu pour ses eaux thermales et ses cascades.

Départ jeudi soir avec neuf autres personnes, dont un Nigérien, une Canadienne, et sept Equatoriens de l’AIESEC. Direction : Riobamba, dans les Andes, où nous arrivons à six heures du matin le vendredi. Le choc climatique est énorme entre Guayaquil où il fait jusqu’à 38°c en pleine journée et cette bourgade de la sierra andine où on a le sang fouetté par un vent glacial. Passage obligé donc par les toilettes du Terminal de bus pour faire une toilette minimale après six heures de bus, ajouter quelques couches de vêtements et sortir son bonnet péruvien. A peine a-t-on le temps d’avaler un petit dej qu’on saute à l’arrière d’une camionnette qui va nous emmener au volcan Chimborazo. C’est une coutume de voyage qui me paraissait au début un peu bizarre, mais je me suis rapidement habituée à cette forme de stop en Equateur où tout le monde peut sauter à l’arrière des camions pour se rendre quelque part, moyennant une petite contrepartie (généralement, 1 à 2 dollars).

Nous voilà donc en route vers Chimborazo, volcan endormi depuis 10 000 ans et sommet le plus éloigné du centre de la terre. Et ouais les cocos, voici la minute « culture géographique » de cet article : si Everest reste le sommet le plus haut, Chimborazo est cependant celui le plus près du soleil, car la Terre est renflée à l’équateur et aplatie aux pôles. Il est donc bon réflexe de ne pas oublier sa crème solaire quand on s’y rend …

La route se tortille entre les cols, le soleil tape, le vent se fait de plus en plus frisquet : on sent littéralement le climat changer au fur et à mesure qu’on gagne en altitude. Et celle-ci n’est pas négligeable : nous sommes à 4 800 mètres, ce qui rend la respiration saccadée et de fait, l’effort beaucoup plus difficile. Dans le groupe, certains sont malades (mal de tête, vomissements) à cause de l’altitude. L’excursion (depuis le premier refuge jusqu’au deuxième) dure environ une heure et demi pour faire à peine un kilomètre (avec 400m de dénivelé). Evidemment, nous ne pouvons pas faire l’ascension complète du volcan, à moins d’être munis d’équipements spécialisés et d’un physique d’acier. Les pauses sont nombreuses ; au fur et à mesure qu’on avance, chaque pas devient un supplice, et une distance de vingt mètres semble en faire cinq cent. Pourtant, quand on arrive au deuxième refuge, la fierté est immense. Et en récompense, une vue absolument imprenable de la chaîne andine qui s’étend sur des dizaines de kilomètres et se fond avec les nuages.

L’excursion sur les flancs du Chimborazo achevée, nous repartons vers Riobamba pour manger et sauter dans le dernier bus pour Baños qui part à cinq heures de l’après midi. J’ai les jambes en compote : entre les six heures de voyage en bus jusqu’à Riobamba, les quatre heures d’aller-retour compressée à l’arrière de la camionnette et le calvaire de Chimborazo, je n’arrive pas à imaginer comment je vais pouvoir sortir faire la fête dans Baños le soir même. Mais la douleur disparait au moment même où on entre dans cet agréable hameau qui se trouve au pied des montagnes. Baños (« bains ») est situé au creux d’un décor de monts verdoyants incroyable, et est surtout fréquenté par des voyageurs amateurs de sports extrêmes.

On y pratique la randonnée à pied ou à vélo, le rafting, le canyoning, le parapente… En arrivant le soir, il fait déjà nuit et les rues s’animent : les fabricants artisanaux nous offrent des poignées de macucha (bonbon artisanal fait à partir de fruit et de sucre de canne), les conducteurs des « chiva » nous interpellent pour nous proposer une excursion de nuit en bus au sommet des monts et les rues fourmillent de bars, café-restaurants et discothèques aux décors hippies qui font exploser la musique. Nous passons la soirée au « Leprechaun », un des bars les plus connus de Baños car on y brûle un grand feu tous les soirs dans le jardin à l’arrière. C’est la première fois que je remarque autant d’étrangers en Equateur. Il faut dire que Guayaquil n’attire pas particulièrement les touristes. Baños, par contre, grouille de voyageurs venus des quatre coins du monde. Et entre étrangers, nous avons des radars pour nous repérer très facilement. Je passe ainsi une bonne partie de la soirée à rencontrer des américains, des irlandais, des autrichiens et même des français, qui me racontent tous dans cette ambiance enivrante leur parcours fascinants en Amérique Latine. J’aurais bien passé toute la nuit à siroter des Banana Daiquiris et refaire le monde avec ces baroudeurs autour du feu, mais la journée du lendemain s’annonce chargée. Sur les coups de trois heures du mat, nous décidons donc de rentrer à notre petite chambre d’hôtel de six places, où nous dormons tant bien que mal à dix.

Le lendemain, jus de papaye, café et œufs brouillés dans le ventre, nous louons des vélos ($5 pour la journée par personne) pour faire le parcours qui mène jusqu’au Pailon del Diablo, la cascade de loin la plus impressionnante de Baños. Je me sens telle Pocahontas dans ce décor naturel de forêts vierges, de papillons et de cascades vertigineuses, je suis prise d’envie de courir dans les plaines avec Miko, nager dans les eaux immaculées avec les poissons et communiquer avec mère nature. Nous parcourons 22km à vélo, mais je ne sens même pas l’effort tellement les paysages sont splendides et la nature dans son état le plus pur. A nouveau, je sens le climat changer et devenir de plus en plus humide tandis qu’on gagne les environs de l’Amazonie.

Mais avant de vous parler de mon expérience forestière au cœur du poumon du monde, il faut absolument que je vous raconte El gran salto. LE GRAND SAUT. Oui oui, Papa et Maman, ne faites pas de crise cardiaque por favor, j’ai sauté en élastique. LE truc suicidaire que je ne pensais jamais faire de toute ma vie. Et pourtant, nous voilà arrivant sur nos vélos au niveau du pont où se ruent tous les jours des centaines de voyageurs pour tenter l’expérience du vide. Nous nous arrêtons, regardons admiratifs, crions de frayeur devant les sauts chacun plus impressionnant que les autres, jusqu’à ce qu’un abruti crie « Interns ! Salten ! » (Stagiaires ! Sautez !). Michelle (la canadienne) et moi nous regardons, bredouillons quelques excuses pathétiques pour ne pas le faire, moi enfonçant le nez dans mon chèche et prétextant que je n’ai pas assez d’argent pour le faire. Mentira ! Et tous en cœur, Camila ! Michelle ! Camila ! Michelle ! La vérité, j’ai vraiment envie de le faire, mais je sens que je vais mourir de peur avant même que le mec puisse finir de mettre le harnais. Trop tard, me voilà spontanément sortir les $7 et me la jouant sartrienne avec des phrases comme « on ne vit qu’une seule fois ». Ouups, tout d’un coup c’est moins philosophique quand il y a 150m de vide et de cascades sous moi. Heureusement, je n’ai jamais vraiment aimé la procrastination. Je ne réfléchis pas et je saute. C’est le bonheur total. Une sensation jamais connue que de se laisser tomber ainsi dans l’air libre. Je m’égosille, je lâche les bras, je laisse tomber tout mon corps dans le harnais, je ris euphoriquement tellement je suis shootée à l’adrénaline. Et je passe le reste de la journée avec un sourire béat et l’impression de pouvoir tout faire.


Après m’être remise de mes émotions et sautillée de jubilation dans les bras de Michelle qui s’est elle aussi jetée du pont, je resaute sur mon vélo pour continuer la route vers l’Amazonie avec les neuf autres compañeros. Là encore, alors que je pensais être arrivée au bout de mes surprises pour la journée, je suis assommée devant la majesté des paysages. Des étendues de forêt vierge, des cascades de centaines de mètres qui se jettent de toute force dans les rivières et l’air perlé de gouttes d’eau et d’humidité. Je sais qu’on arrive au Pailon del Diablo en voyant des pancartes qui disent « Dios existe ! ». Et là, je me retrouve littéralement à vingt mètres d’une cascade magistrale et dévastatrice, tellement puissante que j’aurais probablement senti que j’avais les larmes aux yeux si je n’avais pas été complètement trempée.

Nous regagnons Baños aux moyens de – what else ? – l’arrière d’un camion dans lequel nous empilons les vélos. Pas le temps d’y pédaler, le match Ecuador-Uruguay commence dans une demi-heure, et il n’est pas question de le rater. Ce n’est autre que le match le plus déterminant pour l’Equateur qui veut pouvoir être admis dans les équipes participantes de la Coupe du Monde 2010. Les rues abondent d’Equatoriens arborant patriotiquement le maillot jaune et bleu de l’équipe nationale, des pintes de bières dans les mains. Nous nous posons dans un restaurant pour manger et regarder le match, entouré de frénétiques qui crient des infamies devant l’écran TV. Moi je ne m’y connais pas et j’ai le ventre qui crie famine, je plonge donc le nez dans mes papas fritas et crie de temps en temps un « Chuta ! » solidaire quand on rate un but. Nous perdons. Quelle douleur pour un pays où le fait de ne pas s’intéresser au foot est pratiquement considéré un délit.

Mais rien ne peut arrêter l’esprit fêtard de Baños : malgré la déception, nous dégustons avec agrément les breuvages locaux – autrement dit, nous enchainons les Canelazos (cocktail de Rhum, cannelle et fruit de la passion) et dansons comme seuls savent le faire les Equatoriens. Je m’effondre dans les heures matinales sur mon lit (ou également, sur Michelle, nous partageons un lit une place). Mes jambes ne sont plus que confiture, je suis brisée de courbatures, mais je n’ai pas envie de rentrer à Guayaquil. J’ai envie de suivre les voyageurs qui m’ont proposé de venir avec eux en Colombie et au Venezuela, j’ai envie de continuer à m’étourdir devant l’inconnu, prolonger cette palpitation du voyage. Choisir entre le petit diable de mon épaule gauche qui me dit de ne pas mettre un terme à mon ivresse et le petit ange de mon épaule droite qui me dit de prendre le bus pour Guayaquil, quel dilemme. Je suis rentrée raisonnablement chez moi, après tout j’ai des engagements, mais Sartre n’a pas pour autant perdu. Je repars en voyage avant la fin du mois.

1 commentaire:

  1. Je viens de lire ce merveilleux compte-rendu de tes exploits,c'est splendide,dur,excitant,et périlleux,surtout le saut à l'élastique, mais que c'est bien écrit et décrit! J'avais l'impression d'être à côté de toi. Mamoune va trembler en le lisant, mais au delà quelle fierté de t'avoir comme petite fille. Nous t'adorons et te souhaitons bonne chance avec nos meilleurs pensées et de gros bisous.
    PAPOU & MAMOUNE

    RépondreSupprimer