vendredi 5 mars 2010

Adios mi amiga bella




C’est la dernière semaine de Jessica en Equateur, et nous avons tous le cœur lourd de devoir lui dire adieu. On organise la « dernière fête », le « dernier voyage », le « dernier diner avec la famille », la « dernière bouteille de vin » juste elle et moi. Il faut dire que Jessica et moi avons vécu des moments très chouettes ensemble, et de la voir partir maintenant me donne l’impression que mes trois derniers mois en Equateur ne seront certainement pas comme les six premiers.

Je voulais donc lui dédier un petit article. Je me souviens très bien de ma première rencontre avec Jessica et de la première chose que j’ai pensé d’elle : « THAT BITCH ». Il s’agissait de mon troisième jour en Equateur quand Jessica daigne enfin parcourir les trois patés de maison qui séparent sa casa de la mienne pour me rencontrer. J’étais en pleine crise d’angoisse, épuisée de ne pas comprendre l’espagnol et frustrée de ne pas savoir communiquer avec les gens d’ici. J’attends donc l’arrivée de Jessica avec impatience : enfin une étrangère comme moi avec qui je vais pouvoir sympathiser normalement dans une langue que je parle et à qui je peux confier toutes mes inquiétudes sur ce pays. Je me rue sur la porte pour lui ouvrir, et de mon air le plus nonchalant, je lui dis en anglais « Hey, you’re Jessica right ? », espérant avoir posé la première pierre d’une amitié anglophone durable. Jessica me tend gracieusement la joue pour me saluer à l’équatorienne (un bisou sur la joue) et me répond « Hola, mucho gusto » (Bonjour, enchantée), puis s’installe à côté de Marlene et se met à papoter avec elle pendant 15 minutes en espagnol. J’ai envie de me pendre.

Mais elle se rattrape ensuite : m’emmène dans son cyber café préféré du quartier où – ô merveille – l’Internet fonctionne à haut débit et ne bloque pas au bout de dix minutes, puis me présente à Gina et Lorena, deux filles d’AIESEC qui vivent dans notre quartier et sur qui je peux aujourd’hui toujours compter. Puis elle écoute toutes mes angoisses pendant une heure et me donne de précieux conseils, en me disant que je pouvais toujours venir vers elle pour quoi que ce soit. A partir de là, on ne se quitte plus. De toute manière, vivant dans la même famille, on peut difficilement s’éviter.

Dès qu’il y a une soirée ou une sortie organisée avec les copains d’AIESEC, on y va ensemble. On se tient compagnie aux évènements de famille qui s’éternisent. On s’isole de temps à autre pour parler anglais et échapper à l’étouffante frustration de ne pas bien savoir parler espagnol. Mais le plus génial, c’est quand on a commencé à voyager ensemble. Un jeudi soir dans un bar avec d’autres amis, je me tourne vers Jessica en lui disant que je voulais partir à la plage ce weekend là. Ce à quoi elle me répond, «Okay, vamos a Manta» (allons à Manta). Dix huit heures plus tard, on est dans le terminal de bus, au téléphone avec des membres d’AIESEC à Manta en leur disant qu’on arrive dans trois heures et qu’on aurait besoin que quelqu’un nous héberge pour deux nuits. Depuis ce voyage coup-de-tête-de-dernière-minute, on voyage un peu partout ensemble, souvent de la même manière impromptue. Le meilleur voyage était évidemment le Pérou et la Bolivie, que j’ai déjà beaucoup raconté en détail, et qui a probablement soudé notre amitié de manière très forte para siempre.



Ce qui est assez marrant, c’est que Jessica et moi sommes très différentes, et en d’autres circonstances, on aurait probablement jamais envisagé d’être amies. Jessica est une fille posée et tranquille, qui prend trois heures pour faire QUOI QUE CE SOIT, que ce soit pour manger un bol de ceviche, aller aux toilettes ou te poser une question. Moi je suis rapide et intense, je regarde toujours la montre et me stresse pour être efficace, bien m’organiser et faire quarante choses dans la même heure. Le nombre de fois où on a failli s’étrangler parce que je dis à Jessica qu’on doit y aller maintenant tout de suite et qu’elle décide pile poil à la dernière minute qu’elle devrait finalement manger quelque chose avant de sortir. Jessica est plus timide avec les gens, tandis que moi je ris fort et me mélange très facilement à la foule pour sociabiliser. Jessica ne prévoit rien, ou très peu, se ramène chez les gens à 22 heures sans prévenir ou oublie d’avertir quelqu’un quand elle ne peut pas venir à un rendez-vous ; moi je suis une maniaque de l’organisation, marque tout dans un agenda, fais des copies de tous mes documents et ne manque pas de prévenir la moitié de la terre de mon moindre mouvement. Avec le temps, on a appris à dire qu’on était complémentaires plutôt que différentes…

A force de nous voir tout le temps ensemble, nos amis ont commencé à blaguer en disant que nous étions un couple. Jessica le mâle, moi la femelle. Et chaque fois qu’une va quelque part sans l’autre, on est sûr qu’on nous demandera « dónde está tu macho ? ». Et c’est vrai que par moment, en plein milieu d’un différend, nous nous regardons, hilares et désespérées de nous rendre compte à quel point on se dispute comme un vieux couple.

Elle va bien me manquer ma copine. Je me demande avec qui je vais bien pouvoir boire un verre de vin quand j’ai la nostalgie de la France, prendre un bus à dix heures du soir parce qu’on meure d’envie d’une glace, parcourir les marchés artisanaux ou regarder des films avec des énormes bols de popcorn quand on a la flemme de sortir. Mais heureusement, je ne me retrouve pas entièrement seule… je gagne deux nouveaux hermanos, James d’Australie et Patrick des Etats-Unis, qui viennent remplacer Jessica dans le collège où elle travaillait, et qui vivent chez moi. Je les ai déjà conditionnés aux glaces de chez « Sorbetto », et Patrick vient de me dire qu’il adorait le vin. Perfecto. Mais ne t’en fais pas Jess, personne ne pourra remplacer mon macho.