jeudi 27 août 2009

J-2 : TRANQUILA



Tranquilo/a : adj. Tranquille, calme, insouciant

Respirer. Ne pas s’arracher les cheveux. Tout va bien. Prendre le temps éventuellement d’étouffer quelques cris de frustration dans un coussin sur fond musical des sha-la-la-la-la de « La Javanaise » de Gainsbourg.

On dit qu’une expérience à l’étranger fait murir… la préparation de cette expérience aussi, c’est le moins que l’on puisse dire. J-2 et je ne sais toujours pas où je vais une fois arrivée à l’aéroport ; ou si j’aurai bien une couverture sociale et médicale sur place ; si je suis bien réinscrite à Sciences Po ; si je ne vais pas contracter la rage en me faisant mordre par un cochon d’inde à 5 200 mètres d’altitude au beau milieu des Andes. Malheureusement, on ne peut pas tout prévoir. Je m’obstine à photocopier, classer, et archiver chaque attestation de sécu, confirmation de visa, feuille de banque, ticket de caisse, sans compter les cinquante et quelques photocopies de mon passeport, chacune soigneusement rangée dans un endroit différent pour que, si j’en égare une, il m’en restera au moins quarante neuf autres ; à prévoir tous les cas de figure ; à noter le numéro de téléphone de l’arrière oncle du cousin de ma voisine au cas où mes 36 autres contacts d’urgence seraient indisponibles pile poil le jour où je me retrouve en prison parce qu’on a planqué un sachet de coke dans mon sac. Pourtant, à un moment il faut accepter qu’il y ait des imprévus. D’ailleurs, ce ne serait pas marrant sans.

Chaque année une promo de 800 étudiants de Sciences Po se disperse dans le monde, et à ce que je sache, il n’y a jamais eu de drame. L’enjeu est peut être un peu différent pour moi par rapport aux autres étudiants. Effectivement, ça ne m’a pas suffi de choisir la voie difficile du stage au lieu du séjour en université étrangère où on se sent quand même un peu moins seul, entouré d’autres étudiants et d’un cadre universitaire accueillant. Il fallait aussi que je me rende dans un pays tellement paumé que la moitié de mon entourage ne sait pas le placer sur une carte (« L’Equateur c’est où ça ? En dessous de l’Argentine ? en Afrique ? c’est pas une île du Pacifique ? »). Inutile de préciser que je suis la seule de ces 800 étudiants à m’y rendre.

Alors au fur et à mesure qu’approche le grand départ, je commence à avoir des visions de New York où se retrouve peut être un quart de la promo et où ça aurait pu être tellement plus simple. Et au moins là bas je parle la langue, contrairement à mon espagnol qui s’arrête plus ou moins à « Hola, qué tal ? ». Si la conversation va plus loin, je m’embrouille alors dans une panoplie de tableaux de conjugaison et de subjonctifs placés le plus aléatoirement du monde, si bien que je me retrouve à reprendre les paroles de la chanson « Obsesíon » d’Aventura en priant que mon interlocuteur ne me grille pas. Mais si c’était aussi facile que New York, là non plus ce ne serait pas marrant…

J’ai peut être dix fois plus peur que si je partais à New York, mais l’Equateur sera de fait dix fois plus riche en souvenirs, découvertes, amitiés. Dix fois plus dépaysant. Dix fois plus porteur d’expérience. Mais pour que ce soit aussi positif, je me rends compte qu’il faut vouloir l’accueillir cette expérience, ne pas se crisper sur ses habitudes et coutumes, lâcher ses anxiétés et ses stéréotypes. Il vaut mieux ne pas savoir à quoi s’attendre que partir en se disant qu’on sait déjà tout de la destination.

Donc au lieu de me cogner la tête contre le mur parce que je n’arrive pas à trouver l’adresse du centre d’enregistrement des étrangers à Guayaquil sur Internet, je laisse tomber en me disant que des centaines d’autres l’ont fait avant moi et que je trouverai la solution sur place. Je me force à écouter les sages paroles des latinos qui me disent sans cesse « tranquila, no te preocupes ». Mouais. Pas évident, je suis française, et donc par nature stressée. Mais si je me rends là bas, c’est aussi pour apprendre à vivre un peu différemment. Ca ne va pas se passer comme en France, mais peu importe, je reste tranquila. Tenez, pour mettre en application cette jolie philosophie de vie, ma première action rebelle sera de ne pas photocopier chaque page de mon carnet de santé. Et tac.